Séminaire : THIEBAUT Eric

Prof. Eric THIEBAUT

Station Biologique de Roscoff – Directeur OSU-EI937 – Université Pierre et Marie Curie

donnera une conférence intitulée :

Dispersion larvaire et connectivité en Manche : les apports de la modélisation couplée biologie-physique

L’intérêt pour l’étude de la phase larvaire chez les organismes marins remonte aux travaux fondateurs de Hjort (1914) sur les stocks de poissons de l’Atlantique Nord et de Thorson (1946) sur les invertébrés benthiques qui soulignent l’importance de la mortalité et de la dispersion des larves dans la dynamique des populations marines. Aujourd’hui, les questions centrales en écologie larvaire, qui ne sont que les deux faces d’une même pièce, sont : où vont les larves ? d’où proviennent les jeunes recrues ? La première question revient ainsi à déterminer les échelles spatiales de la dispersion et à identifier les principaux facteurs physiques et biologiques qui régulent la dispersion des larves et leurs interactions tandis que la seconde question sur l’origine des recrues amène à définir le cadre spatial dans lequel doit être appréhendée la dynamique des populations. Au-delà d’un intérêt évident en écologie, la compréhension de la dynamique spatiale des populations marines revêt également un enjeu capital pour le gestionnaire de l’espace marin.

Toutefois, déterminer les trajectoires des larves et mesurer la connectivité entre populations constituent encore un challenge méthodologique majeur en écologie marine de par la petite taille de la majorité des larves, le caractère potentiellement hautement dispersif du milieu marin ou la spécificité des traits biologiques des espèces. Alors qu’elles requièrent un travail de dépouillement colossal, les approches empiriques ne permettent pas d’apprécier l’étendue de la variabilité spatiale et temporelle de la dispersion résultant de la diversité des conditions océanographiques et des comportements larvaires rencontrés, ou de déterminer l’origine des larves échantillonnées. A l’inverse, le développement de modèles biophysiques offre la possibilité d’estimer les modalités de la dispersion des larves pour une multitude d’espèces à partir de sites variés. Ils fournissent aussi une méthodologie quantitative pour hiérarchiser l’importance relative des différents mécanismes impliqués dans le transport larvaire et mesurer les taux de rétention et d’échanges entre populations.

Dans ce contexte général, mon exposé s’articulera, après une introduction générale, autour de deux exemples illustrant les apports de la modélisation à la compréhension de l’importance de la dispersion larvaire en Manche. Le premier exemple vise à comprendre comment la dispersion larvaire peut contribuer au maintien d’un point de rupture phylogéographique entre le golfe de Gascogne et la Manche mis en évidence par des données moléculaires (Ayata et al., 2010,2011). Le modèle biophysique 3D développé permet de simuler pour 16 populations distinctes les patrons de dispersion et le degré de connectivité inter-populations en fonction de la variabilité saisonnière de l’hydrodynamisme et de différents traits d’histoire de vie (durée de vie larvaire, comportement migratoire). Il confirme l’importance des plumes d’estuaires dans le transport larvaire, conformément aux observations in situ, et la rareté des échanges entre le Golfe de Gascogne et la Manche.

Le second exemple illustre comment la modélisation de la dispersion larvaire et l’étude de la connectivité, entre sous-populations et entre populations peut aider à la gestion des stocks et à l’identification d’unité de gestion dans le cas de la coquille Saint Jacques, Pecten maximus (Nicolle et al., 2013 ; Ogor et al., in prép.). A l’échelle locale, les résultats du modèle montre l’importance de l’hétérogénéité de la distribution du stock de géniteurs sur le recrutement en relation avec la variabilité à petite échelle de l’hydrodynamisme. A l’échelle régionale, l’utilisation d’un algorithme d’analyse de réseau permet d’identifier 4 unités fonctionnelles fortement connectées. Les limites au développement d’un outil opérationnel pour la gestion des stocks seront soulignées.