Séminaire : TRYSTRAM Clément

 

Clément TRYSTRAM

Doctorant en Biologie Marine

UMR 9220 ENTROPIE

CNRS / IRD / Université de la Réunion

     donnera 1 conférence intitulée:

Ecologie alimentaire des prédateurs supérieurs :

liens entre différents écosystèmes marins autours de La Réunion.

Pour en savoir plus :

La surexploitation des prédateurs marins occupant les niveaux trophiques supérieurs a été démontrée comme étant responsable d’impacts négatifs non seulement sur les espèces ciblées, mais aussi sur d’autres prédateurs ainsi que sur la structure et la fonctionnalité des écosystèmes qui les alimentent. La gestion durable des écosystèmes naturels exploités requiert donc une approche intégrée, dite écosystémique, considérant l’ensemble de leurs composants et de leurs interactions. Les modèles écosystémiques sont utiles pour évaluer et prédire les impacts de scénarios de gestions et/ou climatiques sur les écosystèmes mais nécessitent l’intégration d’un grand nombre de paramètres biologiques, écologiques et démographiques aux échelles individuelles et populationnelles. La compréhension des relations alimentaires directes (prédation) et indirectes (compétition, effets comportementaux) connectant un groupe d’espèces est donc un prérequis indispensable à leur gestion écosystémique. Cependant les informations empiriques disponibles sur le rôle des prédateurs et sur les interactions entre les écosystèmes marins sont encore parcellaires et discordantes.

Ce travail de recherche vise ainsi à explorer les relations alimentaires entre et au sein des différentes communautés de poissons autours de La Réunion, en se concentrant sur les niveaux trophiques supérieurs des écosystèmes océanique, côtier et profond. En effet, la géomorphologie particulière de La Réunion, jeune île volcanique aux côtes accores présentant un plateau insulaire très réduit, favorise la proximité de ces écosystèmes marins. Les résultats des contenus stomacaux de quatre espèces océaniques, de quatre espèces côtières et de huit espèces profondes récoltées entre 2012 et 2014 ont été complétés par des analyses de traceurs chimiques de la matière organique appelés isotopes stables afin de répondre aux problématiques suivantes : quel est le régime alimentaire de ces espèces ? Quels facteurs influencent leurs régimes alimentaires ? Les individus de ces espèces sont-ils similaires entre eux ou composent-ils un ensemble hétérogène ? Sont-elles en compétition, présentent-elles des liens de prédation directs ou partitionnent-elles leurs niches trophiques ? Comment se caractérisent les sources de matière organique sur lesquelles ces espèces s’alimentent ?

Cette étude dévoile une répartition le long d’un gradient côte-large des prédateurs dont les chevauchements alimentaires permettent le groupement en trois guildes trophiques. Les prédateurs côtiers (Caranx ignobilis, Sphyraena barracuda, Galeocerdo cuvier et Carcharhinus leucas) ont des régimes alimentaires très diversifiés, à dominance piscivore et  dont la contribution en calmars est supérieure à celles relevées dans d’autres régions du globe pour les mêmes espèces. Les thons océaniques (Thunnus albacares et Katsuwonus pelamis) se nourrissent très majoritairement de crustacés pélagiques tandis que les dorades coryphènes (Coryphaena hippurus) et thons bananes (Acanthocybium solandri) se caractérisent par leur grande spécialisation sur des stades juvéniles d’espèces récifales. L’importante séparation des niches alimentaires de ces espèces contraste avec des études antérieures présentant ces espèces comme généralistes et opportunistes, se nourrissant de toutes ressources présentes dans l’environnement proche. A contrario, ces résultats mettent en exergue une partition de niches étroites spécialisées sur des ressources peu abondantes dans le milieu. Les huit espèces démersales profondes étudiées (Beryx decadactylus, Squalus megalops, Eumegistus illustris, Etelis carbunculus, E. coruscans, Epinephelus radiatus, Pristipomoides multidens et P. argyrogrammicus) se nourrissent principalement de ressources profondes : crustacés benthiques, poissons abyssaux, etc. ; mais partagent aussi quelques espèces de calmars et de poissons avec les prédateurs de surface.

Ces observations mettent en évidence l’existence d’une connectivité horizontale (entre côte et large) et verticale (entre surface et eaux profondes) entre ces écosystèmes distincts via les relations de proie/prédateurs. En particulier, l’importance des stocks reproducteurs de poissons coralliens, eux-mêmes dépendants de l’état général du récif, pour l’alimentation de poissons océaniques migrateurs à fort intérêt économique émerge d’une telle connectivité. Ces interactions posent de nouvelles questions sur la provenance des juvéniles de poissons consommés par ces prédateurs autours de La Réunion. De plus, bien que ces espèces soient considérées comme ubiquistes au vue de la variété des proies qu’elles consomment à travers le monde, ces résultats montrent que la composition du régime alimentaire d’un prédateur donné dans une zone donnée n’est pas représentative ni de la niche trophique totale de cette espèce ni de la disponibilité en proies dans la zone. Ainsi, l’influence des prédateurs sur les niveaux trophiques inférieurs est très variable d’un environnement à l’autre et les paramètres qui régissent les interactions entre différents écosystèmes restent encore à élucider.