Alternative aux antibiotiques : vers une protection écologique des huîtres contre les infections bactériennes ?

Développer des alternatives aux antibiotiques pour protéger les animaux marins d’élevage est un enjeu majeur pour l’avenir de la filière aquacole et pour préserver l’environnement et la santé de chacun. Une équipe de l’Ifremer vient de découvrir des mécanismes-clés qui régissent les interactions entre les phages, ces virus-prédateurs, et leurs proies, des bactéries du genre Vibrio, responsables de mortalités chez les huîtres creuses. Un premier pas essentiel pour savoir si les phages peuvent être utilisés pour de nouvelles thérapies durables et écoresponsables contre ces bactéries. Ces résultats sont publiés dans Science et Nature Microbiology.

L’usage des antibiotiques présente un risque majeur pour la biodiversité et la santé publique. L’Organisation mondiale de la santé prévoit qu’en 2050, l’émergence de bactéries multi-résistantes aux antibiotiques sera responsable de 10 millions de morts par année, dans le monde, contre 700,000 décès aujourd’hui. Face à ces prévisions alarmantes, les scientifiques cherchent des alternatives plus respectueuses de la santé du vivant et de l’environnement. Et si l’une des solutions était en mer ?

Dans chaque litre d’eau de mer, 10 milliards de phages et 1 milliard de bactéries coexistent, les premiers régulant l’abondance des secondes.

« Les phages sont des virus très spécifiques capables d’infecter une seule souche de bactérie contrairement aux antibiotiques qui détruisent aussi les bactéries non ciblées utiles aux animaux traités, souligne Frédérique Le Roux, chercheure en microbiologie moléculaire à l’Ifremer à la station biologique de Roscoff (CNRS/Sorbonne Université). Les phages semblent être de bons candidats pour remplacer les antibiotiques qui peuvent être utilisés au moment de la production de larves d’huître en écloseries. Nous sommes loin de pouvoir appliquer cette potentielle thérapie – appelée phagothérapie -  mais nous avançons dans la compréhension des mécanismes biologiques à l’œuvre entre les phages et les bactéries marines ».

Les phages sont capables de contourner les défenses des bactéries résistantes

Avant d’utiliser tel phage pour lutter contre telle bactérie, il convient de comprendre comment ils interagissent. Les relations entre phages et bactéries relèvent de la “course aux armements”, chacun déployant de nouvelles stratégies pour vaincre l’autre : les bactéries développent des mécanismes de défense afin de résister à l'infection par le phage tandis que ce dernier évolue pour surmonter les mécanismes de résistance bactérienne et réussir l’infection.

« Dans une première publication (Hussain et al., Science 374, 2021) portée par nos collègues américains du MIT, nous avons montré que les bactéries étaient capables de se transmettre de gros fragments d’ADN leur conférant une protection contre les phages, explique la scientifique. C’est grâce à ce même mécanisme de propagation rapide de nouvelles « armes » génétiques, que les bactéries sont capables de résister aux antibiotiques ». 

Si ces premières conclusions ne laissaient que peu d’espoir quand à la victoire des phages contre les bactéries, une seconde publication portée cette fois-ci par Frédérique Le Roux et son équipe, apporte de nouveaux éclairages plus optimistes.

Dans le cadre du projet européen ERC Dynamic, ils ont collecté dans une ferme ostréicole du Finistère des bactéries marines pathogènes d’huîtres appartenant au genre Vibrio et des phages associés.

« Après avoir mis ces microorganismes en contact en laboratoire et testés 81 926 interactions, nous avons observé que les phages sont capables de s’adapter aux défenses bactériennes soit en récupérant des gènes qui inactivent ces défenses soit en modifiant la chimie de leur ADN pour tromper le système immunitaire de la bactérie. Contrairement aux antibiotiques, les phages se révèlent ainsi capables de contre-attaquer et de contourner les défenses bactériennes ».

Les scientifiques de l’Ifremer envisagent maintenant de faire évoluer des phages en laboratoire pour qu’ils infectent plus efficacement les bactéries pathogènes et espèrent parvenir à mettre au point des traitements plus efficaces et durables contre les maladies infectieuses des huîtres.

Consulter les deux publications :

→ Hussain, F. A. et al. Rapid evolutionary turnover of mobile genetic elements drives bacterial resistance to phages. Science, 2021, Vol 374.

→ Piel, D., Bruto, M., Labreuche, Y. et al. Phage–host coevolution in natural populations. Nat Microbiol 7, 1075–1086 (2022).