Des progrès crescendo pour la santé des mollusques marins

Détection précoce des organismes pathogènes affectant les coquillages, renforcement des défenses immunitaires des huîtres, identification d’individus plus résistants à certaines maladies et des facteurs environnementaux ayant un impact sur les épisodes de mortalité… Le projet de recherche européen Vivaldi arrive à son terme, avec de nombreux résultats scientifiques et des recommandations pour une meilleure gestion des maladies des coquillages.

La conchyliculture est un secteur économique essentiel en Europe, employant plus de 40 000 personnes. Mais elle est confrontée à des épisodes de mortalité récurrents. Le virus OsHV-1 cause par exemple de fortes mortalités chez les jeunes huîtres creuses dans différents États membres de l’Union européenne, plus particulièrement depuis 2008. Un autre organisme pathogène, la bactérie Vibrio aestuarianus, a été associé à des épisodes de mortalité en France et en Irlande chez les huîtres creuses adultes. Les autres espèces de mollusques exploitées ne sont pas épargnées : on peut citer les populations de coques qui ont décliné de façon dramatique en Galice en lien avec la présence d’un parasite appelé Marteilia cochillia.

« Les maladies des coquillages ne s'arrêtent pas aux frontières :  la recherche doit donc s’organiser à l'échelle internationale. Référence européenne sur les maladies des coquillages, l'Ifremer a fédéré les forces de recherche sur ce thème avec la coordination du projet H2020 Vivaldi : 21 partenaires de 11 pays », estime François Houllier, Président-Directeur général de l'Ifremer.

Ce projet Vivaldi a en effet été initié par l’Ifremer en 2016. Il faisait suite à un autre projet européen également coordonné par l’institut, le projet Bivalife. Vivaldi implique 21 partenaires de dix pays différents. Près de quatre ans après son lancement, le projet s’achève par une conférence finale du 26 au 28 novembre 2019. Elle réunit l’ensemble des partenaires et des parties prenantes à Brest. « Les résultats obtenus permettent de mieux connaître les organismes pathogènes qui affectent les élevages conchylicoles, de mieux comprendre les facteurs qui influencent les mortalités des bivalves et d’identifier des  solutions pour éviter ou réduire l’impact de ces maladies », souligne Isabelle Arzul, chercheuse à l’Ifremer (Laboratoire de génétique et pathologie des mollusques marins, La Tremblade) et coordinatrice du projet Vivaldi. Quatre sites ateliers ont fait l’objet d’un effort particulier en termes échantillonnage et d’analyse: le delta de l’Ebre et la ria de Vigo, en Espagne, la baie de Dungarvan, en Irlande, et la rade de Brest, en France.

Mieux connaître l’ennemi

Le premier volet du projet a permis d’améliorer les connaissances sur les organismes pathogènes des coquillages et sur leurs cycles de vie. Il a par exemple été montré qu’il n’y avait pas qu’un seul virus OsHV-1 au sein d’une huître infectée, mais une « constellation de virus » : plusieurs variants, de niveaux de virulence potentiellement différents, ont été détectés chez un même individu.

Autre problématique : les « réservoirs », c’est-à-dire les « compartiments » où peuvent être présents les organismes pathogènes en dehors des coquillages. Cela peut être l’eau, les sédiments ou d’autres organismes marins. Une étude menée pendant le projet a par exemple montré que le parasite Bonamia ostreae, qui affecte l’huître plate, a une survie dans l’eau d’environ deux jours.

Enfin, des systèmes permettant de détecter la présence d’organismes pathogènes dans l’eau, notamment avant le début de l’infection, ont été développés. Par exemple, l’analyse de membranes immergées permet de révéler la présence, dans un secteur donné, de virus OsHV-1, mais aussi de virus pathogènes pour l’homme tels que les norovirus.

Entrainer les défenses immunitaires

Contrairement à ce que l’on a longtemps pensé, les mollusques ont une sorte de mémoire immunitaire. Celle-ci se présente sous la forme de motifs dans les protéines, capables de reconnaître les organismes pathogènes auxquels l’animal a été confronté et de déclencher des mécanismes de défense. Un autre volet du projet a exploré les moyens de stimuler cette réponse. Les huîtres semblent mieux se défendre face au virus OsHV-1 lorsqu’elles ont été préalablement exposées à une molécule ressemblant au virus. Ce phénomène pourrait ouvrir la voie à des formes d’immuno-stimulation. Mieux encore : cette capacité est peut-être transmissible. Des premiers résultats semblent montrer que les descendants d’huîtres mises en contact avec ces molécules « stimulantes » survivent mieux à une infection virale, même s’ils n’y ont jamais été confrontés.

La résistance est dans les gènes

Au sein d’une même population, certains individus sont particulièrement sensibles aux organismes pathogènes et d’autres plus résistants. Les scientifiques ont étudié chez l’huître creuse les gènes pouvant expliquer cette différence. Deux méthodes ont été employées. La première a consisté à exposer des milliers d’huîtres creuses à une infection par le virus dans le milieu naturel, afin de déterminer leur niveau de résistance. Leurs génotypes ont ensuite été déterminés par séquençage afin d’identifier les régions du génome impliquées dans la résistance à la maladie. Pour cela, plusieurs dizaines de milliers de mutations (modifications ponctuelles de la séquence d’ADN), naturellement présentes dans les gènes, ont été passées au crible, sur les trois millions que compte l’ensemble du génome.

L’autre stratégie a été d’analyser de nombreuses huîtres de populations naturelles dans plusieurs sites en Europe, avant et après un épisode de mortalité. L’identification des gènes clés pourrait permettre de comprendre comment les populations d’huîtres font face à des maladies chroniques et de sélectionner des animaux plus résistants.
     
Cette sélection ne doit cependant pas se faire au détriment de la diversité génétique ou d’autres caractéristiques intéressantes (taille des huîtres, qualités gustatives…). Des simulations numériques ont permis de définir des bonnes pratiques à mettre en œuvre en écloserie, afin de limiter la perte de diversité génétique. Ces simulations ont aussi confirmé qu’il était possible de sélectionner des huîtres creuses selon leur résistance à certaines maladies, sans pour autant impacter leur croissance.

La cohabitation, c’est bon pour les huîtres

L’environnement joue un rôle important dans l’émergence des maladies chez les mollusques marins. Les effets de la température, de la salinité, de l’acidité, des nutriments ou encore de la cohabitation avec d’autres espèces ont été étudiés.

Il a ainsi été montré qu’au-delà de 29°C, le virus OsHV-1 ne provoque plus de mortalité chez les huîtres creuses. Le pH de l’eau de mer ne semble pas avoir d’impact sur la capacité du virus à induire une infection.

Par ailleurs, la cohabitation avec des espèces compétitrices, comme les moules ou les ascidies, est bénéfique pour l’huître creuse. Plusieurs mécanismes peuvent expliquer ce phénomène. Tout d’abord, la compétition pour la nourriture. L’huître a moins de nutriments disponibles, ce qui réduit son développement et peut diminuer la multiplication du virus. Le partage de bactéries bénéfiques entre espèces peut être une autre explication à cette observation. Lors d’une expérience de culture d’huîtres creuses en présence d’algues rouges, il a en effet été montré que le microbiote des animaux était modifié et que leur survie était améliorée lors d’une infection par le virus OsHV-1.

Les bons gestes contre les maladies

Des outils de modélisation numérique ont été développés au cours du projet. En tenant compte de l’hydrodynamisme de chaque site étudié et des modes de transmission des organismes pathogènes, de tels modèles permettent de simuler la dissémination des maladies et pourraient être utilisés pour tester l’efficacité de mesures de gestion.

Les travaux réalisés dans Vivaldi ont permis d’identifier des pratiques qui réduisent les risques d’introduction de maladies et les mortalités associées. Les résultats obtenus ont été partagés et discutés ; un manuel rassemblant ces bonnes pratiques est en cours de préparation, en concertation avec les producteurs et les autorités compétentes des pays représentés dans Vivaldi.

Certaines recommandations sont générales, comme améliorer la surveillance ou ne pas déplacer les coquillages en cas de mortalité. D’autres mesures doivent être adaptées à chaque site : les dates et la température de l’eau auxquelles il est préférable d’immerger les naissains varient en effet selon les régions.
Enfin, des Etats-Unis à la Chine en passant par la Corée du Sud ou la Nouvelle-Zélande, le projet Vivaldi a permis de créer un réseau d’experts internationaux au-delà des frontières européennes, afin de partager les résultats des travaux de recherche et les informations concernant l’émergence de nouvelles maladies.

A propos du projet Vivaldi

Le projet Vivaldi est un projet européen lancé en 2016 et qui s’achève début 2020. Il est financé par le programme de recherche Horizon 2020 et coordonné par l’Ifremer. Il réunit 21 partenaires, majoritairement européens : Ifremer (France), CNRS (France), Labogena DNA (France), SYSAAF (France), CSIC (Espagne), IRTA (Espagne), Université de Cork (Irlande), Université de Galway (Irlande), Université de Gènes (Italie), Université de Trieste (Italie), Université de Padoue (Italie), Institut de Recherche Marine (Norvège), NOFIMA AS (Norvège), CEFAS (Royaume uni), Université de Liverpool (Royaume uni), Université Queen de Belfast (Royaume uni), Institut Alfred Wegener (Allemagne), Marine Institute (Irlande), Atlantium Technologies (Israël), Université de Wageningen (Pays-bas), National Veterinary Institute (Danemark).
Le projet s’est organisé en six groupes de travail, coordonnés par différents instituts :

  • Groupe 1 (Diversité et cycles des organismes pathogènes) : Centre pour l’environnement, la pêche et l’aquaculture (CEFAS, UK)
  • Groupe 2 (Réponse fonctionnelle des bivalves) : Conseil supérieur de la recherche scientifique (CSIC, ES)
  • Groupe 3 (Sélection génétique) : Ifremer (FR)
  • Groupe 4 (Interactions complexes entre animal/environnement/ pathogène) : CNRS (FR)
  • Groupe 5 (Mesures de gestion) : Institut de recherche et de technologie pour l’alimentation et l’agriculture (IRTA, ES)
  • Groupe 6 (Partage de l’information) : Ifremer (FR)