Le contexte scientifique

      Les écosystèmes marins procurent des services d’origine écosystémique (S.O.E.) qui contribuent de manière très importante à « l’état de santé » socio-économique de nombreux pays (OMD 2000). Toutefois, depuis plusieurs années, les effets combinés de l’exploitation des ressources vivantes (pêche, aquaculture), de l’essor démographique (urbanisation, pollution) ou encore du changement climatique, sont responsables d’une dégradation alarmante de nombreux écosystèmes marins tropicaux dans le monde (Hughes et al. 2003, Pandolfi et al. 2003, Gardner et al. 2003, Graham et al. 2006, Worm et al. 2006). Cette situation est particulièrement marquée dans les écosystèmes insulaires océaniens (EIO). La vulnérabilité des EIO, et des populations humaines résidentes, se manifeste à plusieurs niveaux.

       Premièrement, les îles océaniques abritent des écosystèmes qui se sont développés et structurés dans un relatif isolement. Cette évolution à l’écart des continents, et des grands flux migratoires, a favorisé des processus de spéciation particuliers, orientés vers l’émergence d’espèces adaptées aux spécificités des écosystèmes insulaires. Une conséquence « positive» de cette situation, du point de vue de la biodiversité et des SOE, se retrouve dans le fait que les EIO constituent souvent des « hotspots » en termes de biodiversité, et encore plus en termes d’endémisme (Myers et al. 2000, Carpenter & Springer, 2005). Cette caractéristique ne confère pas seulement à ces écosystèmes une valeur patrimoniale majeure, elle représente aussi un intérêt économique à fort potentiel, via la recherche de molécules originales susceptibles d’être valorisées dans plusieurs secteurs économiques (médecine, cosmétique, agro-alimentaire, etc.). Cependant, face à l’accroissement des pressions anthropiques, le niveau et la nature de la biodiversité des EIO constituent désormais un point de vulnérabilité. En effet, en raison de leur isolement, l’évolution des EIO s’est exercée dans un champ de contraintes (compétition, prédation, parasitisme, etc.) bien plus faible que celui rencontré dans la majorité des autres milieux. Il en résulte une grande sensibilité des espèces peuplant les EIO, face aux modifications rapides du milieu et à l’introduction d’espèces exotiques (allochtones) très compétitrices.

     Deuxièmement, la dégradation des SOE dans ces milieux peut être la cause de modifications importantes de la structure et/ou du mode de vie des populations humaines. Le cas de la ciguatera, maladie liée à une neurotoxine qui affecte les êtres humains après consommation de poissons récifaux contaminés, représente une illustration de ce phénomène. La progression actuelle des épisodes d’intoxications (que ce soit en terme de fréquence et de dispersion dans l’espace, à travers de nombreuses régions de la ceinture inter-tropicale mondiale) rend impropre à la consommation de nombreux poissons lagonaires qui constituaient jusqu’ici la base de l’alimentation de nombreuses populations insulaires. Il en résulte une transition alimentaire de ces populations, notamment celles des atolls. Alors qu’elles étaient traditionnellement structurées autour d’une pêche artisanale de subsistance, ces populations s’orientent désormais vers une alimentation « à l’occidentale ». Or, ce type de transition, généralement non maîtrisée, favorise et renforce l’émergence de graves problèmes de santé (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, etc.) (Suhas & Gatti, 2009).

      Par ailleurs, en l’absence de connaissances suffisantes sur les multiples interactions entre les composantes «  ressources - environnement - usages », l’appui des scientifiques à la gestion des EIO est encore trop limité. A titre d’exemple, les mécanismes de résistance et de résilience des EIO face aux pressions qu’ils subissent, et ce que cela implique en termes de pérennité des SOE, sont encore très mal connus. Or, de nos jours, les SOE issus du milieu marin (pêche, aquaculture, tourisme orienté vers la mer, etc.) représentent très souvent les principaux piliers du développement socio-économique des pays insulaires (MEA 2005).

    Dans ce contexte, la communauté internationale (scientifiques et gestionnaires) s’accorde sur l’urgence de développer de nouvelles approches d’analyse et de gestion des écosystèmes (Convention sur la diversité biologique de Rio, 1992 ; Sommet de la terre de Johannesburg, 2002 ; etc.). Une telle entreprise nécessite de proposer des approches systémiques innovantes basées sur l’analyse complémentaire des mécanismes mis en jeu à différentes échelles d’observation, qu’il s’agisse d’échelles spatiales, temporelles, ou impliquant différents niveaux d’organisation (cellule, population, peuplement). C’est dans ce contexte que s’inscrit le périmètre d’investigation de l’UMR-EIO.