Grands fonds : richesses minérales et fragilité biologique

Les besoins croissants de l’humanité en matières premières et en métaux conduisent les États à diversifier leurs sources d’approvisionnement. Depuis les années 1960, les métaux qui reposent sur les fonds marins sont considérés comme une ressource potentielle. Bien qu’il n’existe encore aucune exploitation, des premiers tests d’extraction minière, menés au Japon en 2017, prouvent que l’humanité n’a jamais été aussi proche de puiser des minéraux dans les grands fonds marins.

Quelles sont les principales structures géologiques concernées ?

Les dépôts d’amas sulfurés
Les amas sulfurés, dont la présence est liée à une activité hydrothermale, se rencontrent  dans des zones volcaniques et tectoniques actives, comme les dorsales océaniques ou les bassins arrière-arcs (voir définition des amas sulfurés et schéma ci-dessous). Ces sites hydrothermaux se trouvent à des profondeurs très variables, allant de 1 000 à 5 000 m sous la surface de l’eau. Les amas sulfurés sont très localisés et couvrent des surfaces de quelques centaines à milliers de mètres carrés, avec une épaisseur pouvant atteindre une centaine de mètres. Ils sont riches en zinc et cuivre (7-8% de cuivre pour le site de Solwara en Papouasie-Nouvelle Guinée), mais peuvent également présenter de fortes teneurs en métaux précieux, tels l’or et argent, et en métaux rares (indium, sélénium, germanium…).

Les nodules polymétalliques
Les nodules polymétalliques sont présents dans les plaines abyssales de l’ensemble des océans, à des profondeurs allant de 4 000 à 6 000 m. Ce sont des boules de quelques centimètres de diamètre. Leur taux de croissance est de l’ordre de la dizaine de millimètres par million d’années. L’abondance et la composition des nodules polymétalliques varient selon les zones. Les « champs de nodules » peuvent s’étendre sur des surfaces de plusieurs dizaines de milliers de kilomètres carrés. Ils sont riches en fer et manganèse, mais les métaux valorisables sont surtout le manganèse (26%), le nickel (1.2%), le cuivre (1.1%) et le cobalt (0.3%). Certains acteurs s’intéressent de plus en plus à d’autres métaux (terres rares, tellure), aussi présents dans les nodules polymétalliques.

Les encroûtements cobaltifères
Les encroûtements cobaltifères se trouvent à la surface des monts sous-marins et se forment à partir des métaux présents dans l’eau de mer. Malgré des taux de précipitation très lents (quelques millimètres par million d’années), l’épaisseur de certains encroûtements est de l’ordre de la dizaine de centimètres. Ils peuvent recouvrir des surfaces de plusieurs milliers de kilomètres carrés et ont été découverts à des profondeurs allant de 400 à 4 000 m. Ils sont essentiellement composés de fer et de manganèse mais le cobalt constitue la substance principale de ces minéralisations (près de 2% de cobalt dans les encroûtements de la Polynésie Française). Tout comme les nodules polymétalliques, ils présentent des teneurs significatives en métaux précieux (comme le platine) et en métaux rares (par exemple les terres rares, zirconium, tellure).

Où en est le développement des technologies d’exploitation ?

L’exploitation industrielle n’a commencé pour aucune de ces ressources potentielles, les méthodes sont encore en cours de développement et doivent répondre aux contraintes spécifiques du milieu profond. Début 2019, le projet le plus avancé était piloté par la société Nautilus sur des sulfures polymétalliques en Papouasie Nouvelle Guinée. Toutefois, les récentes difficultés financières de la société ont conduit à un arrêt de leur activité pour une période non définie. Concernant les nodules, le contractant belge GSR – DEME prévoit le test d’un prototype de collecteur dans la zone Clarion Clipperton pour 2020.

Quelle biodiversité abritent ces structures géologiques ?

Du fait de leurs particularités, les trois types de structures minérales évoquées abritent des communautés biologiques différentes de celles des plaines abyssales environnantes.

Des écosystèmes abondants se sont développés autour des sources hydrothermales actives. Ils reposent sur la capacité de certains microorganismes à utiliser les éléments chimiques émis par les sources chaudes. Ces écosystèmes abritent des crevettes, des crabes, des moules, des vers tubicoles… La composition de chaque communauté varie fortement d’une région à l’autre. Les zones où l’activité hydrothermale a cessé sont moins bien connues, mais on sait que les microorganismes qui y vivent appartiennent à des espèces différentes de celles des sites actifs. Des organismes pluricellulaires, comme des coraux, des crinoïdes et des éponges, se fixent sur les anciennes cheminées hydrothermales.
Les nodules offrent un support solide au milieu des sédiments des plaines abyssales. Des organismes s’y fixent, tels des coraux et des éponges. Ils vivent de matière organique en provenance de la colonne d’eau. D’autres organismes dépositivores fouissent le sédiment à proximité, comme les holothuries ou les vers polychètes. 90% des espèces trouvées dans ces milieux sont nouvelles. Une étude parue en 2018 avait par exemple présenté 17 nouvelles espèces de vers polychètes décrites par des chercheurs de l’Ifremer et prélevées dans un champ de nodules dans le Pacifique.
La diversité biologique associée spécifiquement aux encroûtements cobaltifères est très peu étudiée. On sait néanmoins que  les monts sous-marins hébergent de façon générale des espèces comme les coraux et les éponges, qui structurent un habitat favorable à de nombreux autres animaux, leur offrant un refuge ou une zone de reproduction.

Quels sont les risques écologiques d’une exploitation minière ?

En cas d’exploitation, plusieurs risques pour l’environnement ont été identifiés. Tout d’abord, le prélèvement lui-même détruira la structure géologique et l’écosystème associé. Du sédiment et des particules seront mis en suspension. Ceux-ci modifieront à la fois la turbidité et la composition chimique de l’eau en profondeur, ce qui aura un impact sur les communautés microbiennes et animales présentes. En se redéposant, ils transformeront également le sol océanique autour de la zone exploitée. Par ailleurs, certains métaux contenus dans les sédiments peuvent être toxiques une fois dissous dans l’eau. Les effets de l’exploitation se feront également sentir plus près de la surface, avec le rejet des déchets miniers et de l’eau pompée en même temps que le minerai. Ces rejets changeront la composition de la colonne d’eau, son acidité et sa température. L’exploitation peut aussi entraîner des nuisances sonores et lumineuses. L’océan est donc susceptible d’être impacté jusqu’à la surface, avec un effet possible y compris pour les oiseaux marins. Pour l’instant, la majorité de ces conséquences environnementales n’ont pas encore été expérimentées. Quelques expérimentations ont été réalisées sur des champs de nodules dans les années 70-80. Plus de trois décennies plus tard, l’écosystème n’a pas encore totalement récupéré de ces perturbations.

Quelles sont les mesures envisagées pour préserver les espèces en cas d’exploitation ?

La principale solution envisagée pour préserver les écosystèmes marins en cas d’exploitation serait de créer des réserves à partir desquelles les organismes pourraient recoloniser les milieux impactés. Mais leur délimitation se heurte à plusieurs questions : on ne connait pas l’aire de répartition des espèces, ni les distances qu’elles peuvent parcourir. Leur cycle de vie n’est pas non plus connu, ce qui veut dire qu’il n’est pas possible de protéger spécifiquement leurs zones de reproduction. Par exemple, la crevette hydrothermale Rimicaris exoculata semble avoir un cycle de reproduction inhabituel. Contrairement à ce qui était envisagé ces dernières années, la femelle incube ses œufs sous l’abdomen et reste à proximité des édifices actifs, avec une possible reproduction en hiver. Dans le cas des sulfures hydrothermaux, il est globalement admis qu’il faudrait préserver les zones actives, abritant des écosystèmes très spécifiques liés aux émissions de fluides, et envisager d’exploiter seulement les sites inactifs. Mais la distinction n’est pas si simple : des plongées successives sur un même site ont montré que certains sites inactifs se « rallument ». De plus, la diversité biologique et le fonctionnement des sites inactifs restent encore très mal connus.

Comment sont gérées les ressources minérales profondes?

Les ressources minérales situées dans la zone économique exclusive (ZEE) d’un pays dépendent de la législation du pays en question.
Dans les eaux internationales, la prospection, l’exploration et l’exploitation des ressources minérales marines sont administrées par l’Autorité Internationale des fonds marins (AIFM). L’AIFM a ainsi mis en place des règlements pour l’exploration et la prospection des trois ressources décrites ci-dessus. Elle a signé à ce jour 29 contrats d’exploration, avec une forte augmentation du nombre de contrats ces dernières années.
L’AIFM développe aujourd’hui un projet de règlement pour l’exploitation des ressources minérales de la zone internationale, avec la volonté d’adopter ce dernier en 2020. L’Autorité poursuit également le développement d’outils de gestion de l’environnement, tels que les plans de gestion régionaux de l’environnement. À ce jour, seule la zone de Clarion-Clipperton, dans le Pacifique nord, est dotée d’un tel plan.
Deux permis d’exploration pour les ressources minérales marines dans la zone internationale ont été attribués à la France. Le premier, attribué en 2001 pour 15 ans, porte sur les nodules métalliques dans le secteur de Clarion-Clipperton (Pacifique). En 2016, la France a obtenu une prolongation de cinq ans du permis d’exploration, qui court donc jusqu’en 2021. Le deuxième permis d’exploration a été attribué en 2014, jusqu’en 2029. Il concerne les sulfures des sources hydrothermales sur la dorsale médio-Atlantique, entre 21° et 26° nord.

Quel est le rôle de l’Ifremer dans les zones des permis d’exploration ?

En tant qu’appui à la puissance publique, l’Ifremer a été mandaté par l’État pour mener l’exploration des zones attribuées à la France. Le contrat implique de caractériser le potentiel géologique et l’état de référence de l’écosystème. Pour cela, l’institut effectue des campagnes pluridisciplinaires, à raison d’une campagne sur chaque zone de permis tous les cinq ans.
Au-delà de ses missions d’appui à la puissance publique, l’institut mène également des travaux de recherche sur ces formations géologiques et leurs écosystèmes. Plusieurs thématiques sont traitées : les mécanismes de formation des ressources minérales et le fonctionnement des écosystèmes associés, avec l’étude des interactions entre les fluides, l’eau, les roches et les organismes vivants. Les impacts des activités humaines et les capacités des écosystèmes à revenir à leur état initial. Enfin, l’institut travaille au développement de technologies et de méthodologies de reconnaissance, d’observation et d’intervention sous-marines innovantes. La campagne scientifique Bicose 2, qui a eu lieu en janvier 2018 à 3500 m de fond au milieu de l’Atlantique, en est un bon exemple.

Pour en savoir plus :

Rapport de veille scientifique et technologique relative aux ressources minérales non énergétiques des grands fonds (juin 2019)

Résumé de l’expertise collective de 2014 « Impact environnementaux de l’exploitation des ressources minérales profondes » ci-contre.