Les hermelles, de petits vers architectes au coeur du projet REEHAB

Durant vos promenades en bord de mer, vous avez peut-être déjà observé ces étranges excroissances, généralement fixées sur les roches, bâties par le ver marin Sabellaria alveolata. Ces vers de 3 cm de long, communément appelés hermelles, vivent dans des tubes qu’ils construisent en collant le sable et les fragments de coquillages qu’ils capturent. Agglomérés, ces habitats peuvent former de véritables récifs - sur parfois des centaines d’hectares - qui protègent le trait de côte contre l'érosion en atténuant la force des vagues, tout en jouant un rôle important au sein de la biodiversité des écosystèmes côtiers.

Les scientifiques de l'Ifremer comptent sur la participation du grand public : n'hésitez pas à signaler la présence d'hermelles sur le site internet du projet REEHAB (http://www.honeycombworms.org/). Lors de vos balades sur les côtes, observez-les et, si possible, photographiez-les sans marcher dessus, notamment si vous pratiquez la pêche à pied !

Le projet REEHAB vise à mieux connaître la distribution géographique de ces vers marins et l'effet de différents facteurs environnementaux sur son habitat. Piloté par l’Ifremer et financé par la Fondation Total, le projet REEHAB implique trois  partenaires scientifiques étrangers : l’université de Porto (Portugal), l’université de Bangor (Pays de Galles) et l’université de Plymouth (Angleterre).

L’hermelle est un ver marin sédentaire et tubicole, c’est-à-dire vivant dans un tube de sédiments sableux qu’il construit en sécrétant sa propre colle. A marée basse, l’animal reste au fond de sa cavité, protégé par un bouchon de vase, puis remonte dès le retour de l’eau pour étendre ses filaments tentaculaires et capturer les microalgues dont il se nourrit. La présence de tubes d'hermelles est souvent discrète ; ses constructions ne dépassent généralement pas plus de quelques centimètres. Mais dans certains cas, elles s'agglomèrent pour former de véritables récifs pouvant atteindre plus de 2 mètres de haut ou s’étendre sur plusieurs kilomètres carrés.  

De véritables « hotspots » de biodiversité avec 30 000 individus par m2

Les récifs d'hermelles abritent une microfaune riche, qui vient se nicher dans les multiples creux des récifs. De nombreuses espèces viennent s'y nourrir ou s’y abriter. « Dans la baie du Mont-Saint-Michel, des études ont révélé que le nombre d’espèces présentes sur les récifs d'hermelles était jusqu’à 10 fois plus important que dans les sédiments meubles qui les bordent »,détaille Stanislas Dubois, coordinateur du projet REEHAB et chercheur au laboratoire d’Ecologie Benthique Côtière du centre Ifremer Bretagne de Brest.

Par ailleurs, ces vers marins filtrent l’eau pour se nourrir. Les très importantes densités d’individus - parfois plus de 30 000 individus par m2 - font des récifs de véritables filtres biologiques qui contribuent activement au fonctionnement des baies où ils se développent.

Cartographier la distribution des récifs d'hermelles sur les côtes européennes

Sabellaria alveolata est présente de l’Ecosse jusqu’au Maroc. C’est sur les côtes anglaises et françaises, surtout en Manche et sur la façade Atlantique, que les plus fortes densités sont observées.

« L'espèce est méconnue des promeneurs mais également trop peu étudiée par les scientifiques. L’un des volets du projet REEHAB consiste à établir une cartographie passée et présente de la répartition des hermelles en Europe. Pour cela, nous réalisons un véritable travail d'archéologie des données, en réunissant des informations historiques fragmentées et souvent difficilement accessibles sur la présence de cette espèce », explique Stanislas Dubois. Grâce à des partenaires présents dans différents pays européens, des visites de sites permettront d'établir une distribution actuelle très précise de l'espèce, du sud du Portugal à l'Ecosse. Ces informations pourront par exemple assister les gestionnaires de la diversité marine dans la définition d'aires marines protégées.

Faire le lien entre l'état des récifs et l'état de santé des vers

Le projet a également pour objectif d'observer les variations des bio-constructions de Sabellaria alveolata et de mesurer l'état de santé des organismes. « Les récifs d'hermelles affichent une grande variabilité dans le temps, même sur des zones géographiques restreintes. Les processus et les paramètres environnementaux qui permettraient d'expliquer ces changements de distributions et d'abondance sont actuellement très mal connus. Nous souhaitons savoir si des récifs sains sont construits par des vers en bonne santé et inversement. Il y a beaucoup de parallèles avec les récifs coralliens. Les résultats devraient nous permettre de proposer une mesure de l’état de santé de cet habitat particulier, aux rôles écologiques souvent cruciaux pour les écosystèmes », souligne Stanislas Dubois.